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  • S.N. contre P.P.

Avant la nationalisation des polices, il y avait deux maisons : la sûreté Nationale pour l’ensemble du territoire moins Paris et le département de la seine, fiefs de la Préfecture de Police. Le ministère de l’intérieur coordonnant l’action des deux corps.

Les deux directions n’étaient pas seulement concurrentielles, mais carrément adversaires, au point de refuser de reclasser un fonctionnaire issu de la police d’etat alors que c’était admis pour un marin-pompier de Marseille ou un militaire. Nos syndicats eux-mêmes clamaient « Non à la parité avec la s.N. ! » Les grades ne devaient pas avoir de consonnances militaires, un lieutenant était un inspecteur principal adjoint (iPA) puis officier de paix, un capitaine un inspecteur principal (iP), puis officier de paix principal (oPP) etc., etc. Prononcer les appellations actuellement officielles, c’étaient encourir des punitions.

Ainsi, pendant les grèves violentes de 1947, notamment à Boulogne, aux usines renault, les Compagnies républicaines de sécurité (Crs) n’eurent pas le droit d’intervenir, bien que maintenues en réserve à saint-Cloud. elles ne franchirent jamais la frontière du pont, la Préfecture de Police n’accepta que des renforts prélevés sur la Gendarmerie Mobile !

Et le comique, sinon le ridicule fut atteint en décembre 1953 pour l’élection du deuxième président de la quatrième république, rené Coti. Le parlement s’était réuni en congrès à Versailles, comme c’était la règle de la Quatrième, pour le, ou plutôt les votes, il y eut dix ou douze tours de scrutin, aucune limite n’étant prévue dans la Constitution.

On vit même un scrutin refusé par le président du Congrès au motif qu’un candidat ayant pourtant obtenu le compte de voix exigé pour être élu, à un bulletin près, mais qui ne précisait par le prénom. il y avait en effet deux Laniel, dont un n’était pas candidat ! Le votant désignait manifestement le candidat mais avait négligé le prénom.
Ça faisait partie des petits scandales des 3e et 4e républiques.

Les effectifs du jalonnement se mettaient en place deux fois par jour et le service était levé sitôt que les infos négatives arrivaient de Versailles, parfois avant même l’arrivée
du personnel.

Le brave Coti enfin élu, le cortège officiel, venant de seine-et-oise, devait traverser la frontière du pont de saint-Cloud pour se diriger vers le Bois de Boulogne, via le Palais de l’elysée. Cortège très important escorté d’une multitude de motards de la SN circulant sur toute la largeur des voies empruntées.

Pont de saint-Cloud : changement d’escorte ! Les motards, de la PP cette fois, l’attendaient du côté opposé. Je laisse imaginer l’incroyable ballet de motos : ceux qui faisaient emi-tour, ceux qui prenaient le relais, les ordres, les contre-ordres… etc., etc.

Une ligne était même tracée sur la chaussée, bien au milieu du pont. en été, on pouvait voir le flic de la sN en chemise, leur administration l’acceptait. De l’autre côté de la frontière, celui de la PP, en sueur, sous sa vareuse de drap-cuir.

Et encore un exemple d’incapacité à prendre une initiative personnelle lorsque des circonstances locales l’exigent. Je me souviens d’une visite officielle du premier ministre britannique Anthony eden de retour en Angleterre. Jeune gardien, j’ai participé au jalonnement sur l’itinéraire du cortège se rendant à l’aéroport du Bourget. Les effectifs avaient été péniblement rassemblés porte de la Chapelle par une hiérarchie hésitante et le départ des cars avaient pris un dangereux retard. Pour corser l’affaire, au lieu d’envoyer chaque détachement sur son secteur de responsabilité, le convoi partit en file indienne, s’arrêtant à chaque intersection de rues pour y déposer les plantons. A cette allure, le cortège officiel ne pouvait que rattraper la colonne de cars bien avant le placement du dispositif de sécurité, c’est ce qui arriva.

Mais le chef de la formation, imperturbable, continua à placer son monde jusqu’au bout, incapable de décider lui-même de lever un service devenu sans objet.

Les commandants servis, passons à l’échelon supérieur. Certains commissaires revendiquent également leurs droits aux courtelinades.

Je suis resté sept ans au septième arrondissement, à la brigade de nuit (N), on l’a vu plus haut, à effectif pléthorique en raison de la situation politique consécutive à l’indépendance de l’Algérie et surtout du soulèvement des généraux français à Alger et ses répercussions dans la métropole. L’organisation de l’Armée secrète (oAs) déposait des bombes dans les bâtiments publics ainsi qu’aux domiciles des personnalités étant plus ou moins en cause dans l’affaire. et il y en avait beaucoup dans le septième arrondissement, d’où le sur-effectif de la brigade de nuit.

Il y avait tant d’attentats, de tentatives et… de fausses alertes, même de mauvaises plaisanteries que les services de déminage de la Préfecture étaient mobilisés jour et nuit, surtout la nuit. ils ne pouvaient être partout même avec un effectif renforcé, de spécialistes de surcroît. il était donc fréquent d’attendre longtemps leurs interventions. il est arrivé une fois qu’un de mes collègues impatienté d’attendre les démineurs décide d’intervenir lui-même.

Un dépôt suspect ayant été signalé placé sur le paillasson d’une de ces personnes et les spécialistes se faisant attendre, il avait grimpé les six étages, empoigné l’objet. Parvenu au rez-de-chaussée, il l’avait jeté dans la cour intérieure de l’immeuble, en criant à la ronde : « eh ! Voilà, c’était……» Le fracas de l’éboulement d’une partie de la façade de la cour l’empêcha d’achever sa phrase… celle-là n’était pas fausse !

Je l’ai vu tout pâle, saisi d’une trouille rétrospective.

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